On ne peut que saluer l’initiative de Marc Lenot qui, avec cet ouvrage – issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2016 à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne – consacré à la photographie expérimentale contemporaine, entend combler une importante lacune et mettre en lumière tout un pan de la production photographique qui, souvent négligé et marginalisé, prend le médium à contre-courant d’une conception purement représentationnelle : « Nulle part, constate l’auteur, la notion de photographie expérimentale n’est définie, elle est absente des dictionnaires et des index des livres d’histoire de la photographie, et les recherches dans les bases de données spécialisées ne donnent quasiment rien » (p. 16). Ce constat peut paraître étonnant quand on le compare au foisonnement des études critiques et esthétiques touchant à d’autres domaines artistiques expérimentaux comme le cinéma, la littérature ou les arts plastiques (voir à ce sujet Élie During, Laurent Jean-Pierre, Christophe Khim et Dork Zabunyan dir., In actu. De l’expérimental dans l’art, Dijon, Les Presses du réel, 2009).
Formulée de manière efficace au sein de l’introduction, l’ambition du livre de Marc Lenot, inscrit dans une triple perspective théorique, historique et analytique, est claire ; il s’agit de « proposer une définition de la photographie expérimentale contemporaine et d’illustrer ce courant, en le situant historiquement et en analysant les travaux depuis 1970 d’une centaine de photographes, principalement européens et nord-américains […] » (p. 17). Mais force est de constater, au terme de la lecture, que l’objectif annoncé n’est que partiellement atteint ; sans doute pouvons-nous regretter (mais l’auteur ne l’admet-il pas lui-même en conclusion ?) l’absence ou disons le manque de mises en perspectives historiques qui permettraient de situer plus finement cette production, en l’inscrivant dans une histoire au long cours, et dans la continuité des expérimentations avant-gardistes des années 1920-1930 souvent simplement évoquées.
Quoi qu’il en soit, l’ouvrage, particulièrement concis et didactique de Marc Lenot, composé de 7 chapitres essentiellement thématiques, permet d’offrir à travers l’analyse précise et détaillée d’un très grand nombre d’œuvres, un large et riche panorama des pratiques photographiques expérimentales contemporaines. Ainsi, après s’être attaché à remonter le fil de cette histoire jusqu’aux premières expérimentations conceptuelles (d’Ugo Mulas, Michaël Snow et avant lui William Anastasi) et avoir rappelé brièvement le contexte théorique dans lequel elles s’inscrivent, l’auteur poursuit dans les chapitres suivants l’exploration de ce courant, à la fois diffus et homogène, en déclinant les unes après les autres, autour des différents paramètres photographiques mis en œuvres (jeux avec la lumière, jeux avec le temps, jeux avec la chimie, jeux avec le tirage), les multiples modalités selon lesquelles ces photographes jouent avec, contre (et parfois même sans) les appareils, c’est-à-dire utilisent, exploitent et finalement détournent le médium photographique de sa fonction traditionnelle, pour mettre au jour une véritable « esthétique du mésusage » qu’évoque Michel Poivert dans sa préface.
Empruntant judicieusement son titre au philosophe Vilém Flusser (dont la pensée aussi complexe que mésestimée se voit ici largement mobilisée), Marc Lenot démontre ici la richesse et le potentiel à la fois critique et poétique de ces expérimentations photographiques.
Pour citer cet article
Julie Noirot, « Marc Lenot, Jouer contre les appareils.
De la photographie expérimentale, Paris, Photosynthèses, 2017, 223 pages », Focales n° 3 : Photographie & Arts de la scène, mis à jour le 12/06/2019.
URL : http://focales.univ-st-etienne.fr/index.php?id=2581.