Une critique très pertinente de Nathalie Boulouch dans la revue « Critique d’art. Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain. The International Review of Contemporary Art Criticism », n°51, automne/hiver 2018
« Le livre de facture élégante s’ouvre sur la photographie d’un poing fermé, comme une image qui manifeste le projet artistique faisant l’objet de l’étude : celui de la photographie expérimentale. Le poing, celui de Paolo Gioli (Pugno Stenopeico, 1989), dialogue lui-même avec le titre emprunté à une citation de Vilém Flusser dont la pensée est longuement évoquée dans l’ouvrage : « Etre libre, c’est jouer contre les appareils. » Marc Lenot le précise : « la photographie expérimentale peut être définie comme un acte délibéré de refus critique de règles de l’apparatus de production photographique, par lequel le photographe remet en question un ou plusieurs des paramètres établis du processus photographique. » (p. 202).
Identifiant la période conceptuelle comme le point de départ qui nourrit la pratique expérimentale du fait de l’interrogation analytique du médium et des réflexions théoriques sur son ontologie, l’auteur déplie toutes les catégories procédurales de l’expérimentation : avec, sans, contre les appareils ; jeu avec la lumière, le temps, la chimie, le support. Il met aussi en exergue la dimension de performance souvent présente de la part des photographes.
Ce travail d’enquête mené initialement dans le cadre d’une thèse permet de mesurer la richesse des propositions contemporaines au risque de se limiter à un catalogue de noms (une centaine) et de pratiques. Il s’agit là d’un état des lieux très complet de la scène européenne et nord-américaine de la photographie expérimentale des années 1970 à nos jours. Néanmoins, la démonstration aurait pu intégrer davantage quelques mises en perspectives historiques nécessaires pour situer ces pratiques vis-à-vis de celles qui, au XIXe siècle et pendant les avant-gardes, ont initié ce même projet d’ « ouvrir le médium à lui-même » (Préface de Michel Poivert, p. 8).
Décrire les développements actuels de ces pratiques permet de révéler un effet peu commenté du tournant numérique : celui-ci n’a pas interrompu les expérimentations photographiques. Il les repositionne tout en les rendant plus nécessaires malgré l’inquiétude sur leur devenir à cause de la pénurie de matériel argentique. Si la photographie expérimentale s’impose ainsi aujourd’hui comme « une manière anachronique et élégante de résister au monde contemporain, voire de le repenser et de le réinventer. » (p. 209), un nouveau terrain de jeu (trop peu évoqué ici) est ouvert avec le numérique. Son exploration reste à faire. »
Nathalie Boulouch, « Marc Lenot, Jouer contre les appareils : de la photographie expérimentale », Critique d’art [En ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 21 novembre 2018, consulté le 21 novembre 2018. URL