Nino Migliori

 

 

Notes de mon entretien avec Nino Migliori le 17 avril 2011 chez lui à Bologne, en compagnie de sa femme Marina Truant.

 

ML : Decision to do away with the camera. Conditioning by the industry, by advertising.

Negation of the story, of the person, of creativity. Everything is already programmed and codified

Reaction against realistic photography, but also against consumerism and the economic situation of photography and art?

Also refusal of the humanistic ideology linked with Renaissance perspective.

Going against the rules. Freedom, autonomy. A way to find another form of creativity

 

En 1948, il était un photographe amateur, mais en même temps il fréquentait l’avant-garde, les Informels comme Vasco Bellini et Bruno Pulga à Bologne, et, à Venise, Emilio Vedova et Tancredi Parmeggiani, et il connaissait Peggy Guggenheim, dont il a fait de nombreux portraits et des photos de ses fêtes.

En même temps, il avait en lui un besoin d’expression que l’appareil photo ne permettait pas de satisfaire. Il a essayé alors d’autres techniques, d’abord la camera obscura, puis il a découvert par hasard les oxydations. Il découvre, il expérimente, il améliore ; à un certain moment, il en a fait le tour, et passe à autre chose (mais il est revenu aux oxydations).

Il ne savait rien de l’histoire de la photo, des expérimentations au XIXème ou dans les années 30, il a tout découvert par lui-même. Son premier livre de photo était un livre sur Cartier-Besson que Morandi lui  a offert vers 1965. Plus tard, Cartier-Bresson lui a offert de faire partie de Magnum, mais il a décliné, il avait besoin de gagner plus d’argent pour sa famille.

A cette époque (début des années 50), il a aussi photographié les murs, un espace libre que l’homme peut s’approprier, les taches, les griffures (et aussi les graffiti), c’était à la fois figuratif et non-figuratif.

Il a fait toutes ces expérimentations par lui-même, sans directives, en en parlant avec ses amis peintres (plus qu’avec des photographes qui considéraient que ce qu’il faisait n’était pas de la photographie).

Il avait besoin de sortir de la normalité, des règles, d’aller à l’air libre, de sortir du conformisme artistique, du dogme que la photographie représente la réalité (voir Benedetto Crosciano, essai sur l’idéal classique). Comme les Futuristes avec le langage, il cherchait la liberté de s’exprimer.

Il a créé alors une revue avec d’autres, ABRECAL (L’acerba à l’envers) en 1982 jusqu’en 1992, avec Veronesi (qui a aussi fait des photogrammes), Riannocci, Giorgio Todelli, Vittorio Marceschi, Gallia et d’autres.

Les techniques qu’il a utilisées :

  • Clichés verre (comme Giovanni Romagnelli et Lusso Sufaro), aussi avec des pellicules périmées qu’il incise ;
  • Pyrogrammes, en utilisant un pyrograveur pour brûler la pellicule ;
  • Hydrogrammes, en laissant couler des gouttes d’eau sur une plaque de verre, puis en en faisant un tirage ;
  • Cellogrammes, avec des feuilles de cellophane ;
  • Sténopés, avec une trentaine de trous dans le cache de l’ouverture d’un appareil ;
  • Oxydations ;
  • Lucigrammes, avec une dimension spatio-temporelle, car il bouge la lumière plus ou moins vite en « écrivant » avec le faisceau lumineux sur le papier, et l’importance de la trace traduit le temps passé ;
  • Des lucigrammes faits avec des coccinelles sur lesquelles il fixe un LED, rose pour les femelles, bleu pour les mâles, et il les laisse se promener sur un papier photosensible de couleur toute une nuit ;
  • à Venise, empreinte des murs, puis nettoyage des feuilles dans le Grand Canal.
  • Antimemoria: des vieilles plaques de verre provenant d’un studio photo, sales, cassées, abîmées, qu’il tire telles quelles ;
  • Photogramme de tissu (Top Kapi 1977), décomposition d’un tableau du Guerchin (Segnificazione 1978), découpage d’un portrait photo du galeriste Giorgio Marconi (Polifanie 1983), superposition de négatifs (Sottrazione e Accumulo della Memoria, 1976), appareil abîmé et double exposition (Mani e Mosso, 1977-1976).

 

Il a toujours partagé ses techniques, n’a jamais rien fait en secret.

L’important était de trouver sa propre forme expressive.

Ses trois inspirateurs ont été Lucrèce, Leonard de Vinci et Duchamp.

Le premier article sur lui a été par Giuseppe Turroni, un critique de photo et de cinéma, 4 pages dans une revue de photo, en 1958. Mais il a vraiment été reconnu en 1977 avec l’exposition que Quintavalle a faite de son travail à Parme.

Mais la plupart des photographes ne considéraient pas que ce fût de la photographie.

Il ne refuse pas la perspective, comme l’écrit Gentili, il cherche autre chose, un moyen de s’exprimer autrement. C’est pourquoi, dans le livret de 1980 (Parme) ses étudiants (dont Marina Truant) disent : « Notre choix de faire de la photographie ‘off camera’ n’est pas un refus polémique de l’appareil photographique ; ce n’est pas un renoncement à l’appareil et à ses conventions perspectivistes, qui soulignerait une fois de plus le caractère conventionnel et formalisé de la photo dite réaliste. »

Par exemple, sa série de photos d’une gravure d’après le Guerchin, où, selon le tirage, le Christ peut sembler caravagesque ou sulpicien, et les détails ressortir du Pop-art ou de l’Op-art.

Aussi les photos à la chandelle des bas-reliefs d’Antellani sur le baptistère de la cathédrale de Parme (faits avec un appareil numérique).

Il ne se rebelle pas contre la photographie, mais contre ce que tout un chacun pense qu’est la photographie, une représentation vraie, réaliste du monde réel ; il ne se rebelle pas contre l’appareil [à la différence de Flusser, lui dis-je], mais contre la vision qu’il induit habituellement

Ce n’est pas un refus, mais une recherche différente, pour ses besoins personnels et non pour des raisons idéologiques, une tentative de trouver une forme plus appropriée, mais sans nécessairement renoncer aux autres. Même s’il  a fait quelques travaux idéologiques (comme Checked  en 2004 : une photo toutes les fois qu’il est surveillé, contrôlé par l’électronique, 1200 photos dans l’année), il n’a pas une approche idéologique, anti consumérisme.

Il veut être libre, faire passer ses émotions, créer une atmosphère, sans avoir d’étiquette collée sur lui.

Quand ses Murs ont commencé à devenir fameux, il a cessé d’en faire.

 

ML : Linguistic dimension. Semiotics. Decoding the myths

Reference to l’opere aperta of UmbertoEco, versus the closed photo.

Il y a quatre ans Eco a fait à Parme un colloque sur la photo et la littérature, l’écriture, et il y est intervenu. Pour lui, la photo est, comme le langage, un exposé de concepts naturels. L’objet représenté dépend de ce qu’on a dans la tête. La photo est l’écriture de son mode de pensée. C’est plus la narration, le récit, que le langage au sens linguistique qui l’intéresse.

 

ML : Gestures; similarity with painting. Aura? Reproductibility.

Ses gestes ont en effet une similitude avec ceux des peintres, non à dessein, mais parce que les techniques qu’il utilise l’impliquent. C’est simplement sa façon de faire.

L’unicité et le geste redonnent-ils une aura à ses photographies ? Il ne sait pas trop, mais pour lui, l’expérimentation est plus importante que l’unicité ; d’ailleurs certaines de ses photos sont reproductibles. Et il n’aime pas le système commercial des tirages numérotés.

Sur la reproductibilité, il reconnaît ses ambiguïtés, ses contradictions.

 

ML : Importance of chance, of randomness?

C’est très important. Par exemple la photo du baigneur qui plonge à l’horizontale, qui est dans son bureau.

Mais il faut tenter de contrôler le hasard : avec les oxydations, on ne sait jamais ce qu’on va avoir. Depuis 50 ans, il connaît les techniques, mais il a encore des surprises, des découvertes aujourd’hui.

 

ML : Abstraction?

Beaucoup de non-figuratif, mais aussi des oeuvres abstraites ou quasi-abstraites, par exemple avec les gouttes d’eau. Pas une préoccupation importante pour lui.

 

ML : Influences et disciples

Personne, pas de maîtres et pas de ‘cousins’, de photographes ayant suivi des chemins parallèles au sien. Par contre, beaucoup de disciples. Il a beaucoup aimé enseigner, aussi bien à des étudiants à Parme qu’à des bambins (I Futuribili). Plutôt des femmes, d’ailleurs.