Patrick Bailly-Maître-Grand

 

Notes de mon entretien avec Patrick Bailly-Maître-Grand le 23 octobre 2012 à la galerie Baudoin Lebon, Paris, à l’occasion de son exposition «  Colles et chimères » (enregistrement de 1h 17m) 

 

Fabriquer des choses qui n’existent pas de façon à les photographier

Citation détournée de Winogrand

Fasciné par les objets, en voir l’autre côté.

Voir de nouveau ce à quoi les choses pourraient ressembler une fois photographiées.

 

Visite commentée de l’exposition :

Faire-part de décès du XIXème, le revers. Empreintes que je photographie.

Sacs vides construits par moi (Scellés), étiquettes en faux allemand, faux espagnol, faux anglais. Mystère muet, réalité qu’on ne verra pas. Sacs de prisonniers. Texte : donner une explication qui n’en est pas une. Homme mort

Kimonos pour faire camisoles de force (bouquin italien sur asiles de fous). Homme fou.

Scènes de crime par Bertillon avec vieux matelas tachés, une couverture similaire par-dessus (‘Le Grand Sommeil’, aurait pu s’appeler Leçon d’Anatomie) ; jeu avec objets et apparence. Taches humaines. Transfert de quelque chose, traces d’une souffrance. Homme blessé.

Chaussures reconstruites, comme masque. Bricolage, mise en forme.

L’échelle 1 n’existe pas. Seul le rayogramme.

Il y a un texte de Georges Didi-Huberman à propos des mouches sur papier millimétré (dans Phasmes).

Têtes de poupées en carton peint écrasées, peinture explose. Comme le voyage dans la Lune de Méliès. Violence (femmes battues, dit ML). ‘Les Gueules cassées’. Reflets dans l’œil de la poupée (un Marey ??).

Tête de poupée dans la glace (mais trop d’air dans la glace qui s’opacifie).

Textes (Einstein, Copernic) en forme carrée tapés sur feuille d’aluminium, puis gélatine alimentaire impression avec plaque de verre. Texte transparent, photographie un visage qui apparait derrière (dont un autoportrait). Différent selon distance. ‘Testament du Vitrier’.

(dans la vitrine) fines gravures au bois toutes petites, que j’agrandis, mets gélatine alimentaire avec gomme bichromatée sur plaque de verre. Gélatine gonfle là où il n’y a pas de lumière (comme photoglyptie). Mettre la plaque de verre dans l’agrandisseur. Légère variation de relief dans gélatine se voit dans l’agrandisseur (comme goutte d’eau sur plaque de verre). La gravure (plate, faite d’après un modèle en bois en relief) redevient relief dans l’image photographiée (avec lumière rasante).

Pas capable de regarder la souffrance humaine en face, triche avec, d’où les matelas.

« le piège mortel du quincailler savant » (p239)

Daguerréotype extrême : sujet blanc sur fond blanc (Morphées : masque de cire blanc sur fond blanc).

 

ML : « Vous avez démarré comment ? »

PB : Ingénieur, scientifique, peintre hyperréaliste (peinture chiante, léchée ; ça m’ennuyait) Mes objets, c’est de la fuite, du transfert de fantasmes.

ML : « Comment êtes-vous passé à la photo ? »

PB : Aller vers processus, technologie, difficultés. Rencontré Alain Sayag, qui m’a suggéré d’essayer la photo (en ayant vu mes toiles), des murs avec des ombres.

Perspective au tout début, mais sinon, m’en suis détourné.

En 1982 j’amène mes photos classiques à Sayag. On m’avait offert un daguerréotype, j’étais fasciné par l’aspect immédiat, brut : positif et négatif, miroir. J’ai appris dans les livres. Vers 85, j’avais fait une trentaine de daguerréotypes, expo à Beaubourg en 85.

Effet sensible, mais aussi rapport avec la mort du daguerréotype (plus mortuaire que le reste de la photo) : évanescent, et aussi côté objet (poussière) ; contact quasi direct avec personnage (on ne peut pas les dupliquer). J’ai toujours babillé avec la mort. Quête sur disparition, poussière. Mon travail est froid.

Mais je devais aller au-delà du daguerréotype, juste un savoir-faire, passé à d’autres travaux.

Série des animaux au formol dans bocaux en péri-photographie m’a valu célébrité (chez Chomette).

Aussi les doigts.

Années 90 : je suis passé de Chomette à Lebon ; miroirs, maximiliennes,… Objets retravaillés.

Je suis fasciné par cultures asiatiques, je rage contre la perspective (un concept créé par camera obscura), plutôt stratification de couches. J’aime les haïkus : ils sont frontaux et poétiques.

La pureté introduit la notion de Dieu.

J’ai fait beaucoup de dessin industriel quand j’étais jeune.

Perspective : l’intellect prend le dessus sur le sensible. Perspective comme métrique imposée.

 

ML : « Recht a dit ‘intérêt non pour les images mais pour le regard’ (catalogue CEAAC Strasbourg, 1989) »

PB : Trouver une réalité non immédiatement traductible par le médium photographique.

La photographie nous révèle quelque chose qu’on ne percevrait pas en regardant seulement l’objet. Perceptible seulement par le biais de la photographie.

« mettre en exergue les propriétés du fait photographique lui-même (l’essence même de la photographie) » manipuler l’outil. Ainsi série des miroirs, positif et négatif qu’on ne peut pas distinguer (daguerréotypes et héliographie de Niépce sont des miroirs) : grand appareil et l’objectif ne se voit pas.
ML : « Connaissez-vous les photos noires de Fuss : contrainte imposée au regardeur »

PB : On m’en a parlé. Travailler l’extrême noir sur noir, ou extrême blanc sur blanc.

 

ML : « Aussi Ignaz Cassar : négatif et positif. Et la photo inversée de Ösz. »

PB : L’analogique est une empreinte, le numérique est un emprunt (c’est de l’infographie, pas de la photographie).

Le train : on voit que c’est un assemblage (j’étais alors fasciné par Hockney et ses assemblages).

La fourmi, c’est un montage, tracé au feutre photographié, puis, au labo, je colle des formes de fourmi sur la trace.

L’écorché (il ne me plait pas, trop nu classique), je regrette de n’avoir pas aussi fait le dos. Empreinte d’empreinte : le scotch.

Pour visage et main, empreinte dans résine, que je photographie ensuite.

 

ML : Vos influences ?

PB : Marey (ingénieur, mouvement), Josef Sudek. Pas de penseurs, je suis un scientifique.

 

ML : Les photographes dont vous êtes proche ?

PB : Tosani (peu de perspectives, objets), Adam Fuss (technique, daguerréotype, matelas).

Aussi un peu Gioli, Brihat (trop coincé dans chimie), Dubroc (camera obscura en couleur ?), Vera Lutter, Neusüss, Ösz. Camera obscura : pas de profondeur de champ, précise partout. Choi.

 

ML : Vos disciples ?

PB : pas mal à Strasbourg, mon épouse Laure Demaison (uniquement dans l’humain, la psychologie) ; école des Arts Décos à Strasbourg.

 

Bricoleur et bidouilleur.

Images de moi illustrant le texte de Jacques Henric sur Céline chez Marval : images en négatif.